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« "À force de
payer ses employés avec des cacahuètes, on travaillera avec des
singes", dit-on parfois. Ce constat vaudra bientôt pour les
patrons ! »
Marc VRIJMAN
Administrateur
délégué Afer Europe en Belgique
« Le
Soir » du 27/12/2013
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Salaires
indécents ?
Les commentaires
relatifs aux salaires des dirigeants
des entreprises publiques vont bon train ces derniers temps.
Indécent, clamait il y a peu Laurette Onckelinx en parlant des
2.500.000 € brut empochés annuellement par Didier Bellens à la
tête de Belgacom. Du coup, elle en avait oublié qu’elle faisait partie du gouvernement
qui avait octroyé ce pactole à l’intéressé, à l’époque catalogué PS.
Certains patrons surenchérissent et crient au scandale. Selon Marc
Vrijman, 650.000 € par an proposé au patron de bpost, ce qui,
rappelons-le, fait 2.185.078 FB
par mois, c’est à peine plus que des cacahuètes. À ce prix, des
milliards d’êtres humains rêveraient d’être des singes !
Où va-t-on, Mesdames, Messieurs si le droit d’un patron d’une
entreprise publique est limité à gagner en un jour ce qu’un de ses
employés gagne en un mois ? Reconnaissons-leur l’audace
d’expliquer que le salaire de cet employé est un coût exorbitant pour
l’entreprise.
Il est vrai que dans ce cas précis, jusqu’à ce jour, le Gouvernement
octroyait à ce patron près de deux
fois plus. Sans compter l’autorisation de participer à l’un ou
l’autre Conseil d’Adminstration juteux.
Cette comparaison est d’autant plus choquante que le journal du même
jour nous rappelait le combat des travailleurs du textile au Cambodge
réclamant le doublement de leur rémunération actuelle de 60 € par mois.
Vous vous en rendez compte, ce qu’ils osent ces privilégiés ! Au
Bangladesh, les travailleurs de ce secteur se contentent d’un salaire minimum de 49 € par mois
et les entreprises pourraient délocaliser en Éthiopie où le salaire mensuel moyen est de 45 €.
« D’un
point de vue éthique, que pourrait être un juste salaire pour un
patron ? », demandait récemment un journaliste au
professeur Axel Gosseries de la Chaire Hoover d’éthique économique et
sociale de l’UCL. Empruntons-lui un extrait de sa réponse * :
« Offrir une définition
positive du salaire juste est difficile. Et même si c’était possible,
cela ne nous donnerait pas un montant précis. Par contre, on peut
insister sur ce qui rend les salaires injustes et démonter certaines
des justifications invoquées pour justifier les écarts.
Par exemple, si
un top manager de la SNCB invoque ses très grandes responsabilités, on
comparera son salaire avec celui d’un conducteur de train en se
demandant si ce dernier n’a pas, lui aussi, de grandes responsabilités,
sans pour autant être entouré de nombreux conseillers lui permettant
d’éviter des catastrophes.
De même, si le
patron d’une entreprise publique ou privée défend son salaire par le
caractère unique des compétences, comparons-les immédiatement aux
compétences de notre récent prix Nobel de physique… et comparons
ensuite leurs salaires en fin de carrière.
Et si un patron
de Bel 20 nous dit que son salaire est justifié par le fait qu’il a
“créé” de nombreux emplois, demandons-lui combien d’emplois
supplémentaires il aurait pu créer s’il avait renoncé ne fut-ce qu’à la
moitié de son salaire ?
Responsabilité,
prises de risque, qualifications, création d’emplois… tout ceci doit
donc être pris avec des pincettes. » |
Cela dit, comment comprendre que tant de citoyens s’offusquent des traitements
prétendument « scandaleux » du personnel politique
alors qu’ils se ruent au stade ou devant leur télévision pour admirer
des footballeurs belges gagnant jusqu’à près de 40 fois le traitement de notre
Premier Ministre ?
Cet exemple situe les valeurs de
notre société, ** et restera pour nous toujours un peu
mystérieux et source d’interrogations :
- Comment,
en temps de crise, a-t-on pu assister à une telle explosion des inégalités ?
- Pourquoi tant de passivité de la population et de
certaines organisations sociales ?
- Pourquoi sommes-nous capables de
nous poser en défenseurs des droits de l’homme tout en achetant
volontiers ces biens produits par des esclaves modernes ?
- Pourquoi faut-il que l’échéance électorale approche
pour que le côté scandaleux de ces inégalités fasse subitement
débat ?
Puissions-nous y
donner une amorce de réponse en 2014 en nous mobilisant davantage pour
réduire ces inégalités au bénéfice des plus déshérités, quelle que soit
leur
localisation sur notre planète terre. Et pourquoi pas en faire
un enjeu de la prochaine
campagne électorale ?
Décembre 2013
* Journal « Dimanche » du 20/10/2013
** Selon le journal « Le Soir » du 28/08/2013, voici le
salaire brut de quelques personnalités belges en 2012 :
Personnalités |
Fonction |
Salaire annuel
brut en 2012 |
Salaire comparé
au Premier Ministre |
?
|
Salaire minimum |
18.012 € |
÷/ 12,66 |
Élio Di Rupo |
Premier Ministre |
228.000 € |
1 |
Jannie Haek |
Patron de la SNCB
Holding |
512.000 € |
X 2,25 |
Luc Coene |
Gouverneur de la
Banque Nationale |
537.156 € |
X 2,36 |
Didier Bellens |
Patron de
Belgacom |
2.484.000 € |
X 10,89 |
Pierre-Olivier Beckers |
Patron du groupe
Delhaize |
3.010.000 € |
X 13,2 |
Vincent Kompany |
Capitaine de l’équipe
de football de
Manchester City
(et des Diables rouges) |
9.000.000 € |
X 39,47
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