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Neutralité
des Fonctionnaires et Liberté d’Expression
Souvenons-nous. En 2009, la question de
l’interdiction du port du voile à l’école a fait débat. En cause,
notamment les multiples significations de cette attitude :
religieuses, identitaires, inégalitaires, traditionnelles, culturelles.
Au nom de la neutralité de l’État, des personnalités, apparemment bien
intentionnées, ont mené campagne pour étendre le concept de
l’interdiction de « signes convictionnels » aux
fonctionnaires. Neutralité qui du reste n’a jamais été définie. Se
caractérise-t-elle par l’absence d’expression de convictions
personnelles ou au contraire par l’affichage d’un pluralisme
assumé ?
Remarquons d’abord que les convictions peuvent transparaître au travers
d’autres moyens que des signes identifiables. Par exemple, un
professeur de français qui choisit des textes et des livres à lire par
ses élèves fait-il un choix neutre ?
À la réflexion, cette campagne avait des objectifs ambigus. Interdire
le voile était-il, comme prétendu, le meilleur moyen d’assurer
l’émancipation des femmes musulmanes ? Certains ne visaient-ils
pas le voile pour mieux atteindre la croix ? Car ne nous y
trompons pas, exclure les signes religieux de la sphère publique n’est
pas une action neutre et constitue en elle-même une option
philosophique.
Aussi, quand pour des objectifs peu avouables, le leader nationaliste
Bart De Wever s’engouffre avec délectation dans la brèche ouverte par
son prédécesseur socialiste ayant réglementé la matière à Anvers et
s’empare du concept pour interdire le port d’un tee-shirt arc-en-ciel
aux guichetiers, le débat rebondit. Et les censeurs d’hier sont, non
sans raison, les premiers à crier au scandale aujourd’hui.
Mais, tout compte fait, pourquoi cette discrimination ? Pourquoi
les seuls signes distinctifs religieux et philosophiques seraient-ils
interdits ? Que l’on porte un foulard, une croix, un pin, un ruban
blanc ou rouge, un tee-shirt ou tout autre attribut vestimentaire à la
gloire d’une personnalité, d’une cause, d’un club sportif ou d’une
association, quelle est la différence ? Chaque fois, on peut y
voir l’expression d’une opinion.
Si cette opinion est condamnable, par exemple l’apologie du racisme,
des dispositifs légaux existent pour sanctionner leurs auteurs. Par
ailleurs, toute réglementation peut être détournée. Sans signe
distinctif particulier, la façon de se vêtir et de se comporter peut
quelquefois traduire la philosophie de vie d’une personne.
D’autre part, le cas d’Anvers le démontre à suffisance. Interdire,
c’est guérir le mal par le mal et faire la part belle aux extrémistes
de tous bords, en particulier les fondamentalistes religieux et les
partisans de l’extrême droite.
De plus, ce débat nous apparaît souvent dérisoire. Nous avons par
exemple connu à une certaine époque des écoles où la direction faisait
la chasse aux élèves masculins portant les cheveux longs. Quelques
années plus tard, dans ces mêmes écoles, des adolescents au crâne rasé
se présentaient face à des professeurs à la crinière opulente. C’est
dire le risque de légiférer en ce domaine.
Dès lors, quels critères utiliser ? De deux choses l’une :
- On estime que le
fonctionnaire est
libre de s’habiller selon son bon vouloir, sous réserve du respect de
la sécurité, de la santé, de la morale ou de l’ordre publics, des
réglementations fonctionnelles et de la protection des droits et
libertés d'autrui selon l’art.9 de la Convention européenne des droits
de l’homme.
- On estime que
dans son habillement,
rien ne peut transparaître de la personnalité du fonctionnaire, alors
on impose à ce personnel une vieille recette encore appliquée à
d’autres métiers de la fonction publique, à savoir le port d’un
uniforme.
Nous étonnerons peu de
monde en réaffirmant notre attachement à la liberté d’expression.
Personnellement, je n’aurais guère de mal à convaincre ceux qui en
douteraient si l’on sait que j’ai naguère payé cet attachement de mon
licenciement d’un service public.
À ma connaissance, aucune situation conflictuelle de ce type ne s’est
encore présentée à la commune de Soumagne, et c’est très bien ainsi. Ne
nous laissons donc pas entraîner à proposer des réglementations futiles
créant des problèmes là où ils n’existent pas !
Pascal
ÉTIENNE.
Le 11 février
2013.
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