Palestine-Israël
– L’Impasse de la Violence
Si l’on veut se faire des amis, mais tel
n’est pas mon but, il est des sujets qu’il vaut mieux éviter d’aborder.
En ce moment, il est pourtant particulièrement dérisoire de s’attarder
sur nos petits problèmes locaux quand, à la guerre russo-ukrainienne
aux portes de l’Europe, s’ajoute le rebondissement du conflit
israélo-palestinien avec son lot d’atrocités qui bouleversent nos
consciences.
Mais comment exprimer notre indignation sans verser dans une piégeuse
simplification abusive, et comment accueillir avec un esprit critique
les nombreuses informations et leurs commentaires qui nous parviennent
journellement et troublent quelquefois notre réflexion, sinon en posant
en préambule quelques éléments objectivement établis ?
1. Le poids des mots.
Quelquefois, les mots suscitent en nous la perception de réalités très
différentes. Aussi, à l’aide entre autres du dictionnaire, essayons de
préciser quelques concepts.
a) Terrorisme.
Dans ce contexte, le mot le plus controversé est
certainement « terrorisme ». On peut ainsi succinctement
le définir : emploi systématique de la violence pour atteindre un
but politique.
Ainsi, les actes de violence, attentats meurtriers envers la population
civile, prises d’otages, occupations de terres et expulsions de leur
population par la force, destruction massive de bâtiments historiques
et d’habitations, privation de ressources vitales à la survie d’un
peuple, emprisonnements sans procès ni jugement sont des actes de
terrorisme.
Tenons-nous-en donc à cette définition et osons qualifier comme tels
tous les actes de terrorisme quels qu’en soient les auteurs, sachant
que ce peut être aussi des gouvernements légalement constitués.
b) Humain.
Le qualificatif « humain » a plusieurs sens.
Si l’on s’en tient au sens « Propre à l’homme en tant
qu’espèce », la guerre est hélas une exclusivité humaine.
Si, entre autres, l’on s’en tient au sens « Qui est compréhensif
et compatissant, manifeste de la sensibilité », la guerre et les
actes de terrorisme seront qualifiés d’inhumains. C’est ce sens que
nous retiendrons dans cet article.
Ainsi, si voir assassiner froidement un enfant israélien nous glace
d’effroi, en quoi massacrer cinq enfants palestiniens avec une bombe explosant leur maison est-il moins inhumain ?
c) Dignité humaine.
Dans le prolongement de la définition précédente, la dignité humaine
sera définie comme le respect que mérite tout être humain de cette
planète, indépendamment de toute autre considération, y compris
éventuellement de ses actes inhumains.
Ainsi débute la déclaration universelle des droits de l’homme
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en
droits » !!!
d) Racisme.
Quoique selon les généticiens il n’existe qu’une race parmi les êtres
humains, le racisme est une idéologie hiérarchisant ceux-ci pour
produire une inégalité entre le groupe dominant et les autres et
caractérisée par une discrimination et une hostilité souvent violente.
Selon les cas, les critères pris en considération seront : couleur
de la peau, culture, religion, origine nationale ou ethnique,
etc.
On peut distinguer quelques racismes particuliers, notamment
l’antisémitisme, l’islamophobie, la xénophobie caractérisés par la
haine des juifs, des musulmans ou de l’étranger.
e) Sionisme.
Né notamment en réaction à la montée de l’antisémitisme en Europe, le
sionisme est un mouvement politique et religieux visant à
l’établissement puis à la consolidation d’un État juif en Palestine.
Quoi qu’on en dise, il est malheureusement fondé sur un racisme juif.
Sans être animé de sentiments antisémites, il est dès lors possible de
s’y opposer légitimement au nom de valeurs universelles.
f) Apartheid.
En référence au régime qui existait en Afrique du Sud au détriment de
la population noire, l’« apartheid » peut être défini comme
un système d’oppression et de domination d’un groupe racial sur un
autre, institutionnalisé à travers des lois, des politiques et des
pratiques discriminatoires bafouant la dignité humaine.
De nombreux analystes et associations humanitaires attestent que cette
définition est sans nul doute applicable à l’actuelle politique
israélienne envers le peuple palestinien vivant sur son territoire
légal ou annexé.
g) Extrême droite.
Bannie dans une société démocratique, l’« extrême droite »
est une idéologie politique présentant selon les cas certaines des
caractéristiques suivantes : nationalisme, xénophobie, racisme,
anti-immigration, anti-démocratie, fanatisme religieux, violence.
Il est unanimement reconnu que le gouvernement israélien Netanyahou
actuel, le plus à droite de son histoire, est une coalition de
formations de droite pure et dure et d’extrême droite.
h) Droit international.
On distinguera plusieurs variantes, citons le « Droit
international public ». Celui-ci a vocation à définir et régir ce
qui constitue un État, ses compétences, les relations pacifiques et la
coopération entre États et organisations internationales caractérisée
par la prohibition du recours à la force. Relevons que les résolutions
de l’ONU en sont une partie intégrante.
Quant au « Droit international humanitaire », il vise selon
la Croix-Rouge à restreindre, pour des raisons humanitaires, les effets
néfastes des conflits armés, en protégeant celles et ceux qui ne
participent pas ou plus aux hostilités et en limitant le choix des
moyens et des méthodes de guerre.
i) Colonisation.
Du terme « colonie », nous retiendrons « Établissement
fondé dans un territoire sous sa dépendance forcée par une nation
dominante et occupante qui en tire profit ».
j) Légitime défense.
Lorsque c’est justifié par le bon droit de se défendre ou de défendre
autrui, la « légitime défense » consiste à légitimer un acte
illégal ou réprouvé par la morale, par exemple un homicide.
2. L’origine du conflit.
Comme ce fut le cas avec l’Ukraine, il est malheureusement de pratique
courante dans de nombreux médias d’établir leur raisonnement à partir
du dernier événement spectaculaire, l’invasion militaire de la Russie
dans un cas, l’attaque meurtrière du Hamas dans l’autre cas.
Raisonner ainsi de façon inconsciente ou intentionnellement partisane,
c’est inévitablement faire fausse route. Si l’on méconnaît l’histoire
de ces pays, notamment en s’abstenant d’accorder une attention
particulière aux conséquences de l’épouvantable Deuxième Guerre
mondiale, il est impossible de porter un jugement pertinent sur ces
événements.
3. Les acteurs.
Il est indispensable de ne pas assimiler le comportement de certains
dirigeants à l’entièreté du peuple qu’ils sont censés représenter.
Ainsi, le Hamas et le Gouvernement israélien ne sont pas les seuls
représentants de leur peuple respectif.
Il en est de même avec les considérations religieuses. Faire de tous
les Musulmans ou de tous les Juifs des criminels en puissance est
odieux.
Par ailleurs, méfions-nous des amalgames quelquefois maladroits, ou pas
du tout innocents. Ainsi, critiquer ou maudire librement la politique
du Gouvernement israélien n’a rien à voir avec de l’antisémitisme si on
s’abstient de toute référence raciste.
4. Qualification des actes ou de leurs auteurs ?
Sans mauvais jeu de mots, il est dit-on de bonne guerre de disqualifier
l’adversaire en l’affublant, quelle qu’en soit la raison, d’infamantes
dénominations : terroriste, animal humain, chien…, que sais-je
encore ?
Et surtout, souvenons-nous aussi que dans toute guerre, y compris
celles qu’a connues notre pays, ceux que nous qualifions du titre
honorifique de « Résistants » sont pour le camp ennemi des
« Terroristes ». Chacun ne peut se battre qu’avec les armes à
sa disposition, ce qui pour autant ne peut pas tout justifier.
Dissocions donc la qualification des personnes et de leurs actes. Par
exemple, condamnons sans réserve tout acte terroriste ou crime de
guerre de quelque nature ou provenance soit-il, tout en respectant la
dignité humaine de leurs victimes, mais aussi de leurs auteurs.
Et maintenant, que penser de la situation ?
Les appels à un cessez-le-feu permanent ne manquent pas, hélas sans
résultat tangible. (Secrétaire général de l’ONU, Médecins sans
frontières, Croix-Rouge internationale, etc.).
Pourtant chacun sait qu’une solution militaire brutale ne peut pas
fonctionner à moins d’un génocide complet d’un peuple. « De même
que le feu n’éteint pas le feu, et qu’il est impossible de sécher l’eau
avec l’eau, on ne peut pas éliminer la violence par la violence »
a écrit Tolstoï.
Dans une interview, l’ancien Premier ministre français Dominique de
Villepin, qui n’a rien d’un gauchiste, déclare justement «
L’éradication du Hamas est illusoire, Israël doit adapter ses buts (…)
Vous n’éradiquez pas le terrorisme avec des bombes. Une fois qu’il est
dans les cœurs et dans les têtes, il prolifère. Et pour chaque bombe
qui tombe sur une ambulance ou une école à Gaza, c’est des dizaines de
nouveaux terroristes qui naissent et se lèvent. C’est ça qu’il faut
comprendre. »
Des témoins directs rapportés par le journal Le Soir ne parlent pas
autrement :
- « Avant la guerre, on se disait qu’on pouvait
coexister. Mais je crois que c’est fini. On n’a plus rien à perdre
maintenant. Éliminer le Hamas ou raser Gaza ne fera pas disparaître la
cause palestinienne » (un Palestinien de Jérusalem, 1/12/2023).
- « Cette offensive israélienne
disproportionnée garantit au Hamas son recrutement pour les quinze
prochaines années » (un expert, 2/12/2023)
- « Tant qu’il y aura du désespoir, des jeunes
prendront les armes en Palestine. Et aujourd’hui le désespoir est
grand » (un Palestinien de Naplouse, 6/12/2023)
- « Le Hamas n’est pas seulement une
organisation terroriste. C’est une idée. Si on n’utilise que la force
militaire, on empire la situation. On ne peut combattre une idée
qu’avec une vision politique, une alternative, pour créer de l’espoir.
Or ce gouvernement n’a pas de projet politique... J’ai compris que le
projet israélien est idéologique, il vise à effacer les Palestiniens et
à s’approprier leurs terres » (un soldat israélien envoyé à Gaza
en 2014, 8/12/2023)
Des
Palestiniens marchent sur le site des frappes israéliennes contre des
maisons, dans le camp de réfugiés de Jabalia, le 21 novembre 2023
(Reuters – Les incontournables de l’Écho, 6-12-2023)
Qui pourra arrêter la cruelle détention d’otages
innocents, ces infâmes destructions massives et cet ignoble désastre
humanitaire à Gaza, décrit comme apocalyptique par le patron de la
diplomatie européenne Josep Borrel, où on tue plus d’enfants que de
terroristes ?
Sûrement pas les Européens qui appellent à la modération, mais
s’opposent à toute sanction comme ils l’ont fait pour la Russie, à
l’exception peut-être de celles anecdotiques à l’encontre des colons
violents de la Cisjordanie qualifiés par certains de terroristes.
Encore moins les fournisseurs d’armes. « Israël a reçu plus de
10.000 tonnes d’armes, essentiellement des États-Unis, a indiqué
mercredi le ministère israélien de la Défense » (Le Vif,
6/12/2023). C’est aussi en raison du veto des États-Unis que le Conseil
de sécurité de l’ONU a rejeté ce 8/12/2023 un projet de résolution
exigeant notamment un cessez-le-feu humanitaire immédiat.
Quant au fond du conflit, jamais sans doute, n’a-t-on été aussi loin
d’une solution. Un État pluraliste ? Deux États ? Encore
faut-il que chacun dispose d’un territoire équitable. Quand on sait que
le taux d’occupation de la Palestine par Israël serait passé de
52 % en 1947 à 88 % aujourd’hui, ce n’est pas gagné.
Aussi, nous ferons nôtre cette citation pertinente de l’auteur Daniel
PENNAC découverte dernièrement dans notre quotidien « Ce sont
rarement les réponses qui apportent la vérité, mais l’enchaînement des
questions ».
Et dans ce cas, les questions récoltées sont tellement nombreuses
qu’elles dépassent le cadre de cet article. Quoique le premier jet date de
plusieurs semaines, l’accumulation d’informations dramatiques
confirmant hélas ce que nous craignions en a retardé la publication.
Néanmoins, je me permets d’ajouter encore à votre réflexion une
invitation à écouter le talentueux humaniste Thomas Gunzig dans sa
chronique honorant le service public et diffusée par la RTBF le
10/11/2023. (Il suffit de vous inscrire pour se connecter)
Pascal
ÉTIENNE
Soumagne, le 11 décembre 2023
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