Magnétique, l’affiche
mobilisatrice pour la marche « Ensemble pour le climat
et la solidarité » de ce 8 décembre
à Bruxelles, ces humains nus convergeant
vers notre planète à protéger. Superbe
symbole qui ne doit pas nous faire
oublier l’avertissement placé en tête
d’affiche : «
Ça commence ici
». «
Ici », on nous le répète,
c’est ma maison où je peux fermer le robinet,
visser
des ampoules économiques, baisser le chauffage, placer du
double vitrage.
Mais il y a un autre « ici » :
notre beau coin d’Europe, nos villes et nos
campagnes. Et là, pour Noël, le gouvernement wallon
s’apprête à déposer un
énorme cadeau dans nos petits souliers. Un truc neuf ? Non,
vieux de presque un
demi-siècle. Pas trop crade ? De luxe au contraire : 400
millions d’euros. Au
moment de la conférence de Bali sur le changement
climatique, ça a à voir avec
le climat ? Mais oui ! Et c’est… ? Un permis de
construire. Des canaux, des
voies ferrées, des trams ? Non. Une nouvelle autoroute.
Cela se passe à l’est de
Liège, au cœur d’un poumon vert. Dans la
foulée, on
prévoit des zonings et des centres commerciaux, au grand dam
de la ville de
Liège qui a assorti son soutien au projet de vœux
pieux : qu’on ne disperse pas
les pôles d’activité, qu’on
cesse de déplacer les gens vers la
périphérie,
qu’on ne construise rien le long de ce nouvel axe, ceci afin
d’éviter
l’aggravation de la péri-urbanisation si
préjudiciable à la
prospérité de la
cité.
Ce qu’on nomme « liaison CHB
» (Cerexhe-Heuseux-Beaufays) serait, selon le
ministre Daerden, un « chaînon manquant
européen ». Or, l’Europe, qui a
décidé
de ne consacrer à la route que 2,7 % de son budget
Transports 2007-2013 –
priorité au rail – ne reprend pas ce
tronçon autoroutier dans sa liste. Oui
mais, souligne-t-on, on en parle depuis trente ans ! Justement :
jusqu’à quand
s’obstinera-t-on à réaliser des projets
conçus au temps de la voiture reine et
du pétrole bon marché ? Oui mais,
assène-t-on encore, CHB désengorgera la ville
de Liège. Franchement, qu’a-t-on fait
jusqu’à présent pour dissuader les
voitures de pénétrer en ville ? Où
reste la piste cyclable sur le boulevard
d’Avroy remis à neuf il y a trois ans pour le
départ du Tour de France ? Où
restent les mesures dissuasives sans lesquelles, selon les
spécialistes, même
une nouvelle autoroute ne résoudra rien du tout ? Et
surtout, où est l’étude
globale qui permettrait de chiffrer les déplacements et les
besoins sur
l’ensemble de l’agglomération ? Enfin,
comment passer sous silence l’avis
défavorable rendu par le Conseil wallon de
l’environnement pour le
développement durable (CWEDD). Et ce que nous
révèle l’Étude d’incidence
réalisée en vue de l’octroi du permis,
à savoir :
– « 7 sites de grand
et de très grand intérêt biologique
seront
partiellement ou totalement détruits » (p.
278). « Le réseau Natura 2000
sera affecté par la liaison (p. 312) qui
bouleversera le paysage. »
– « CHB touchera
gravement les agriculteurs » (p. 440) et
« altérera
la qualité de la vie des habitants » (p.
548). « Aucun plan de
relogement n’est encore prévu pour les riverains
expropriés » (p.548).
– « À
l’encontre des principes de développement durable (p.
553), si
CHB se fait, il faut craindre une accentuation de la
péri-urbanisation (p.
898). »
– « CHB ne va pas
entraîner d’amélioration de la
mobilité au niveau de la
liaison sous Cointe et de la traversée de la ville de
Liège » (p. 599). « CHB
ne résoudra pas non plus le problème de
l’accès à l’Est de la
région liégeoise
ni celle de la traversée de Fléron
» (p. 620). « Il semble plus juste de
parler de statu quo : sans mesures dissuasives, le trafic de transit
perdurera
» (p. 898).
Bref, pour un projet pharaonique, beaucoup de
risques et de graves
incertitudes. La commune de Fléron l’a compris,
qui demande un moratoire sur le
projet. Pour ne pas se lancer tête baissée dans
une réalisation que l’on risque
de regretter. Pour consacrer les millions d’euros
à une mobilité durable. Pour
dégonfler quelques vieilles outres du genre : la
construction d’une nouvelle
autoroute serait source de prospérité
économique.
Il serait plus honnête de dire que cela
creusera encore la dette wallonne.
Que CHB coûtera très cher en entretien et en
nuisances sociales et
environnementales. Qu’en favorisant le recours à
la voiture individuelle,
l’ouvrage aggravera les inégalités dans
un monde où la flambée du coût de la
vie précarise une grande partie de la population.
Les transports en commun, eux, en particulier le
tram demandé par les
Liégeois (1), vont générer de
l’emploi, aider les ménages appauvris par le prix
de l’énergie, répondre aux
défis posés par le réchauffement
planétaire,
promouvoir la solidarité et… exiger des
investissements. Faire le choix du
tram, renoncer au tout-à-la-route, c’est se
diriger vers des villes plus
agréables, une mobilité plus équitable
et la préservation de l’environnement.
C’est aussi contribuer à lutter contre le
réchauffement planétaire, répondre
à
la menace du pire que nous prédit le GIEC, bref,
c’est se montrer adulte.
CHB : le genre de décision qui
contribue à empêtrer la Wallonie dans des
choix dépassés. Alors, MM. Rudy Demotte, Michel
Daerden, André Antoine et
Benoît Lutgen, Mesdames et Messieurs en charge du dossier,
épargnez-nous ce
vieux cadeau de luxe. Tournez-vous vers l’avenir. Pensez
à nos/vos enfants et
petits-enfants.
Caroline Lamarche, écrivain; Pierre
Leprince, vice-président Natagora, ULg;
Jean-Luc Outers, écrivain; Pierre Ozer,
géographe, chercheur à l’ULg;
Jean-Pierre Pécasse, responsable culturel et enseignant;
André Ruwet, rédacteur
en chef d’« Imagine »; Jacques Teller,
chargé de cours en urbanisme (ULg);
Jean-Pascal van Ypersele, professeur de climatologie et de sciences de
l’environnement à l’UCL.
(1) www.tramliege.be